Sylvain
Ultra Fou 

 

15 heures : le jour J

Ca y est, j’ai retiré mon dossard auprès des organisateurs. Le centre-ville se remplit petit à petit. Je me suis réveillé les jambes endolories. L’entrainement deux jours auparavant m’a joué un vilain tour. J’y suis allé cool pourtant. C’est la panique, le stress monte. Dois-je prendre le départ, est-ce raisonnable ? Je m’isole un moment loin de la cohue dans la salle d’attente de l’office du tourisme avec d’autres coureurs. A contre cœur, je confie quand même mes deux « sacs ravitos » et mon « sac d’arrivée » aux gentils bénévoles. Je confie mes malheurs à un autre coureur. Il me répond simplement que tout le monde aura mal aux jambes tôt ou tard et me rassure. Il m’apprend qu’il a déjà participé à l’UTMB et à la Diagonale des fous 26ème, respect !

Je décide donc de revoir mes objectifs à la baisse. Désormais, finir est LA priorité absolue et rien d’autre. La motivation revient un peu.

 

18 heures : le briefing

Il a lieu dans un auditorium bondé. L’organisateur et un speaker nous détaille au micro, à tour de rôle, en français puis en anglais, le programme des festivités. Impressionnant ! La tension est palpable chez les coureurs. Je me fais tout petit dans mon fauteuil. 112 km et 9700 mètres de D+ nous attendent, je commence vraiment à réaliser, ma gorge se serre.

19 heures : le dernier vrai repas (ou la dernière cigarette pour certains)

Le départ est à 22 heures, je dîne donc vers 19 heures. L’appétit va, donc tout va ! je n’en laisse pas une miette. Il faut faire des réserves mais ne pas surcharger mon estomac non plus. Je m’hydrate régulièrement.

21 heures : ambiance départ

Je pointe ma puce et rentre dans le sas. La foule est au RDV. Ca braille dans tous les sens (en anglais, espagnol, français…joyeux bordel !! on s’entend à peine). Petit à petit, la masse de coureurs se densifie. Pour patienter, nous avons droit à une chorégraphie rythmée d’un groupe de musiciens. La température monte. C’est ensuite un feu d’artifices qui est tiré juste avant le départ. Je lève la tête et aperçoit un mini drone qui nous filme. Souriez, vous passez à la TV, sur une chaîne locale (la classe assurément !!). Résigné donc, je me positionne nettement en retrait, à savoir : 200 coureurs devant et 100 derrière.

 

22 heures : top départ (Ordino 1200 mètres)

Je m’élance tranquillement pour 6 km de faux plat montant. Je gère pépère, double quelques coureurs. La nuit tombe vraiment et les frontales s’allument une à une. La première ascension est aussi une des plus sèches du parcours, histoire de détendre un peu les plus excités (de 1200 mètres à 2600 mètres en 5 km !!!). Je trouve mon rythme et dépasse quelques coureurs déjà essoufflés et s’écartent courtoisement sur le côté à mon passage (il reste 100 km les gars, courage !!). Bientôt premier refuge à Pla d’Estany (2100 mètres, km 17) pour un ravito express, je poursuis l’ascension concentré et motivé malgré la raideur de la côte. Les appuis sont fuyants et traitres (éboulis, rochers, poussière…), prudence donc.

La partie nocturne

Je parviens au sommet de la première grosse difficulté (Comapédros, le point culminant,  3000 mètres, km 20) vers 00h30. J’ai droit à un beau clair de lune qui laisse entrevoir la cime des montagnes tout autour de moi. Je me retourne et distingue un long cordeau de frontales qui sillonnent la montagne depuis la vallée en contrebas. Devant aussi, certains semblent déjà loin. Je ne m’attarde pas, il fait à peine 2° et ça souffle, il ne faut pas trainer au risque de refroidir. Je bascule donc et entame ma descente vers le refuge Bottella (2000 mètres, km 30), le troisième ravito. Là-bas, je fais le plein et repars si tôt.

L’erreur qui coûte cher

La concentration est optimale, ça descend dur, très dur même. Je me sers des bâtons pour soulager les cuisses des chocs à répétition. Mon pied gauche se balade dans ma chaussure, je relacerai plus tard. Nous entamons quelques portions dans la neige, certains passages sont très techniques et abruptes, je descends sur les fesses, pas le choix. Les heures défilent, le jour se lève enfin. Depuis une heure, je sens mon talon gauche sécréter un liquide collant, ça pique un peu, aïe, aïe, aïe ! J’arrive enfin en bas de la vallée à Margineda (900 mètres, km 43). Premier gros ravito, un grand gymnase a été aménagé en hôpital de fortune, à voir tous ces couchages au sol et déjà des coureurs forfait. Je récupère mon sac et vais me faire soigner le pied. Une gentille infirmière m’envoie me doucher les pieds, impossible de soigner sans cela. J’exécute sans perdre un instant. Elle me rassure, la peau n’est pas déchirée, ouf !! Tranquillement, elle vide l’ampoule à la seringue, désinfecte, panse et me remet sur pied. Pendant ce temps, j’enfile mon change, mange un morceau puis repars à la hâte, revigoré, les jambes fraîches (si, si !). Mes douleurs aux quadriceps sont un lointain souvenir, tant mieux !

Deuxième partie de course

Le speaker nous l’avait dit au briefing avec une pointe d’ironie : « Après Margineda, ça va grimper dur jusqu’au col du bout mort (2500 mètres) mais ne vous découragez pas, il faut tenir car il ne vous restera alors que 60 km» déclenchant les rires dans l’auditorium. Je confirme, ça grimpe dur sans discontinuer. Nous sommes en milieu de matinée. J’avance pas à pas dans cette sacrée côte. Un gars me dépasse puis deux, je décide de m’accrocher à eux pour ne pas tomber dans un faux rythme. Ils avancent les cochons. Les heures passent, ils se parlent de temps à autre en espagnol, moi : « no comprendo, nada », tant pis. Nous parvenons au refuge de Claror (2200 mètres, km 53) puis d’Illa (2500 mètres, km 65). Notre trio se transforme alors en duo car l’un d’eux semble accuser le coup et peine à repartir. J’emboite donc le pas de mon compère qui très vite semble aussi en détresse. Je me retrouve donc tout seul en début d’après-midi, j’en suis au km 70, tout va bien. Trop bien ? J’ai retenu une phrase qui me recadre : « pendant un ultra, si tout va bien, commence à t’inquiéter ». Je fais donc un rapide check-up mental, RAS. A partir de là, les paysages sont de toute beauté (prairies verdoyantes, rivières sauvages aux eaux cristallines, forêts de pin…). Je verse ma larme  (adrénaline, hormones ?) car je sais désormais que, sauf blessure, je vais terminer, c’est sûr. Je prends le large, il fait bon, je déroule à chaque portion de plat. Je gère mon talon dans les descentes avec l’avant du pied. Formule gagnante car j’avance bien mieux ainsi, j’essaye de me détendre au maximum et oublies un peu mes bâtons. Bientôt, j’ai de nouveau de la compagnie, encore un coureur espagnol, c’est dingue non ? Je m’accroche donc à cette nouvelle locomotive de luxe ou plutôt ce TGV, il est rapide et constant, c’est lui qui imprime le rythme. Je le suis mais c’est dur. Allô, SOS mental ? On atteint ensemble la deuxième base de vie (Bordes d’Envalira 2000 mètres, km 76). On s’offre une petite pause rapide. Sa copine est là pour l’encourager, petit veinard, et prend des photos. Idem à Inclès (1800 mètres, km 85).

Dernière partie

A chaque fois, si tôt restauré, il repart et « en avant Guingamp ». Moi, je dois faire changer le pansement à mon talon. Je perds du temps encore une fois mais je ne lâche pas et petit à petit, patiemment, je reviens dans ses pas. Dès lors, nous rencontrerons peu de coureurs, nous en rattraperons quelques-uns. Ils tentent mais ne peuvent suivre notre tempo dans les côtes, excepté un duo qu’on parvient à distancer mais qui nous largue dans la descente d’après. De toute façon, les écarts sont faits maintenant, il faut juste maintenir l’allure. Nous sommes désormais en fin d’après-midi et il nous reste 25 km à parcourir depuis le refuge d’Inclès. Bientôt nous atteignons le refuge « Com de Jan » (2200 mètres, km 92). Il nous reste alors un pic bien raide à gravir. A ma grande surprise, alors que nous pointions nos puces au poste de contrôle, mon TGV semble marquer le coup. Pour la première fois, il me demande de passer devant. Je suis surpris, est-ce une tactique de sa part ? Peu importe, je mets tout ce que j’ai, le moral est au beau fixe, c’est la dernière côte (la der des ders), j’ai le smile. J’arrive au sommet et bascule dans une descente de 14 km jusqu’à l’arrivée à Ordino. Le soleil se couche, il est 21 heures, j’ai hâte d’en finir. Au bout de 500 mètres, je me retourne, mon TGV n’est plus qu’un petit point que je distingue à peine. Je suis déçu et triste pour lui car il méritait une meilleure finale. C’est la dure loi du sport. Je regagne donc Ordino après une très courte pause au refuge de « Sortony » (2000 mètres, km 100). Je déroule, les jambes sont toujours là, je ne me l’explique pas. La nuit tombe vite, bientôt il fait noir. Je m’égare car je ne distingue plus les rubalises. Je m’énerve et gueule tout seul, le stress d’être repris m’envahit. Je reviens sur mes pas sur une centaine de mètres et allume ma frontale. Magie ! J’étais bien dans la bonne direction mais ai loupé la sortie pour quelques mètres. Je repars à l’arrache et enfin c’est l’arrivée. Je me retourne, personne derrière, tout va bien.

La ligne d’arrivée

Je franchis la ligne d’arrivée vers 23h30, enfin ! C’est la délivrance, le stress retombe un peu. Je ne réalise pas vraiment, je reconnais Emilie Le comte qui en a fini avec « la ronde del Cim ». Elle chancèle et est prise en charge par les secours au cas où, je compatis. Le speaker espagnol scande mon nom au micro, sympa ! A cet instant, je ne suis ni heureux, ni déçu. Une infirmière me prend par le bras car je titube un peu. Je la rassure. Ça va aller ? Insiste-t-elle. Oui, oui, pas de problème. Je fais une légère hypoglycémie, rien de bien méchant. Un verre de coca dans le gosier et c’est oublié. Je grignote un peu, j’ai le ventre en vrac, je n’insiste pas. Je reste assis quelques minutes près de l’arrivée. Il n’y a pas foule. Les terrasses sont pliées, seuls quelques supporters attendent leur héros du jour. J’aperçois l’amie de mon compagnon de course qui semble s’interroger, je vais à ses devants pour la rassurer, ne sachant pas moi-même où il en est. Elle me remercie.

23h45 : karcher et contrôle technique

Je me dirige vers les douches d’un pas lent, un peu paumé. Je récupère mon sac d’arrivée auprès d’un bénévole. Je sens mes jambes se raidirent petit à petit. Une fois lavé, je me dirige vers la salle des massages. Une équipe de 4 jeunes demoiselles très sympas sont mobilisées rien que pour nous. Pour moi, ce sera les trapèzes et le dos puis un soin du pied bien mérité. Je me laisse aller, m’endors presque. Mon talon meurtri n’a pas l’air de les effrayer, ça me rassure.

0h45 : dodo

C’est à 0h30 que je regagne mon hôtel et surtout mon lit. Je laisse toutes mes affaires en plan dans l’appart et saute sous les draps. Je me refais le film de la course une centaine de fois mais c’est confus. Le sommeil réparateur ne sera pas au RDV cette nuit-là.

07h00 : réveil tranquille

Levé tôt, je saute sur mon petit déjeuner, ça tire un peu partout mais ça va, j’ai connu bien pire. Je prends une douche vivifiante pour me redonner un coup de boost puis je me repose sur le divan, quelques heures devant la TV. C’est décidé, ce midi, c’est resto ! Je compte bien me faire plaisir. Soudain, j’entends par la fenêtre, des encouragements, je regarde et aperçois un coureur qui n’est plus qu’à quelques km de l’arrivée. Ouah !! 2 nuits passées dehors, respect ! J’en ai des frissons.

 

12h00

J’arrive en ville vers 11h30 et il y a foule. C’est l’arrivée du « Celestrail » (83 km) de la « Rond Del Cim » (170km) et du « Mitic » (112 km). J’hallucine, je n’en reviens pas. La deuxième moitié du Mitic aura passé 2 nuits complètes à la belle étoile. Le chronomètre d’arrivée affiche plus de 40 heures de course pour certains. Les épouses ainsi que les enfants les accompagnent pour les derniers mètres, c’est vraiment touchant. Je me rends compte que je ne sais toujours pas combien je fais au classement provisoire. Je pense être dans les 40-50 premiers. Un jeune homme m’affiche mon résultat sur un écran TV ainsi que mes temps de passage aux différents pointages. Il me félicite, je suis 21ème en 24h46. Grosse bouffée d’émotions, tout remonte à la surface : les heures d’entrainements, mes recherches etc. Je m’isole par pudeur et craque un bon coup, ça fait du bien. 2 ans que je ruminais un ultra dans un coin de ma tête sans jamais oser franchir le cap. Maintenant c’est fait, ça y est ! Mon estomac me sort de mes pensées. J’ai le ventre qui gargouille, tu m’étonnes, plus de 24h00 à avaler des gels, du powerade, de l’overstim’s etc. Place à un  vrai repas, ce sera une méga entrecôte, frites/salade. Je suis zen, je digère en même temps que je profite de la fête. Super ambiance, il fait beau, tout est au top !! Le cœur léger, je rentre à l’hôtel, range mes affaires du moins ce qu’il en reste (c’est sale, ça colle et ça cocotte !) et m’assoupis. Demain, je me lève tôt.

Retour au bercail

La navette vient me chercher, elle est à l’heure et moi, un peu à la traîne. Je me speede. Il est 04h15 du matin, c’est raide mais bon, je me laisse conduire sans broncher. Je me refais la course encore et encore, c’est étrange, je ne réalise pas vraiment. Tout s’est passé si vite ! Mes jambes me rappellent à l’ordre, ça tire et mes chevilles gonflent vraiment (réactions dues aux chocs répétés dans les descentes sans doute) et des pétéchies apparaissent sur mes mollets. Finalement, j’arrive à Laval à 19h15, usé et pressé de rentrer, je savoure mes retrouvailles avec ma petite famille et ça fait du bien. Je peux leur dire avec fierté que j’ai bouclé mon premier ultra.

Diplôme Ultra Mitic (Custom)

 

BILAN

Ce trail reste une magnifique expérience tant sur le plan humain que sportif ! C’est une course très exigeante, qui ne s’improvise pas et qu’il faut mériter. J’en tire beaucoup d’enseignements pour les courses à venir. Cela m’a motivé pour découvrir d’autres courses et d’autres ultras. J’ai déjà quelques idées pour l’été prochain.

Je remercie toute ma famille pour leurs encouragements.

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